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Depuis quelques semaines, la chaine Arte diffuse une nouvelle série promise à un beau succès : “Real Humans”. Loin de n’être qu’une énième interprétation anticipée de la cohabitation entre humains et robots humanoïdes, la série du suédois Lars Lundström explore, avec une subtilité certaine, toute la complexité et les paradoxes qui entourent l’intelligence artificielle appliquée à des clones d’êtres humains.

L’intelligence artificielle est un thème exploité depuis longtemps par le cinéma et la littérature. Si les questions d’ordre philosophique ou éthique que pose l’intelligence artificielle sont aussi passionnantes que fondamentales, l’objet de cet article se veut plus prosaïque : L’intelligence artificielle peut-elle avoir un rôle pertinent dans les applications métier utilisées chaque jour par les entreprises et leurs collaborateurs ?

 

L’intelligence artificielle, c’est quoi ?

design IFSIl faut tout d’abord définir ce dont on parle. Le scientifique américain Marvin Lee Minsky – notamment cofondateur du groupe d’intelligence artificielle du MIT – donne l’une des définitions les plus communément admises de l’intelligence artificielle. Il s’agit de “la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique”.

Un élément de cette définition a une importance particulière : “pour l’instant”. Ainsi, au fur et à mesure de l’avancement de la science et de la technologie, l’intelligence artificielle est amenée à égaler, puis dépasser l’intelligence humaine.

Les exemples ne manquent pas. Il y a quelques années, la victoire de l’ordinateur Deep Blue sur le champion d’échec Garry Kasparov en a sans doute été l’une des illustrations les plus marquantes.

Plus récemment, c’est dans le domaine complexe des diagnostics de santé et des décisions médicales que l’intelligence artificielle a démontré ses capacités, et peut-être sa supériorité. En février dernier, le magazine Slate.fr rapportait que deux informaticiens de l’université d’Indiana, aux Etats-Unis, ont réussi à mettre au point un programme capable de “penser comme un médecin”. Leurs travaux ont montré que leur programme intelligent améliorait l’efficacité pour les patients  de près de 50%, tout en réduisant les frais médicaux liés aux traitements prescrits de 58,5%.

Ces deux exemples le montrent bien : l’intelligence artificielle peut surpasser l’intelligence humaine dans les situations où la capacité à prendre une bonne décision dépend de la capacité à prendre en compte et à analyser de très grands volumes de données.

Il s’agit donc de cela : être capable de rassembler de très grands volumes d’information ; les analyser ; puis prendre une décision. C’est ce que fait le cerveau humain, dans une certaine limite. C’est ce que fait l’intelligence artificielle, potentiellement sans limite. Avec une autre qualité fondamentale empruntée à l’intelligence humaine : la capacité d’apprendre par elle-même, et de s’adapter à ce qui n’est pas prévu, voire à ce qui est imprévisible. C’est le concept de “machine learning”.

 

Qu’en est-il dans le domaine des applications métier ?

L’intelligence artificielle peut-elle permettre d’automatiser certaines des décisions prises manuellement dans le monde de l’entreprise et des affaires ? L’intelligence artificielle peut-elle être une alternative efficace aux processus basés sur des règles ?

Prenons l’exemple de la prise de décision liée au choix d’un fournisseur pour un responsable achat, dans un contexte où plusieurs fournisseurs sont capables de fournir le même produit. Dans la plupart des cas, aujourd’hui, un responsable achat sélectionne ses fournisseurs manuellement, ou s’appuie sur certaines règles simples. Par exemple : choisir systématiquement le fournisseur le moins cher, sauf si celui-ci est en rupture de stock. Un tel processus a sans doute une certaine marge d’optimisation.

Nous avons mené une expérience avec des étudiants de l’Université Polytechnique de Chalmers (Göteborg, Suède), visant à développer un programme de sélection de fournisseurs doté d’intelligence artificielle. Après une période d’apprentissage et d’entrainement, l’intelligence artificielle du programme a intégré la manière dont les différents facteurs – prix, délai, précision des commandes, qualité, etc. – affectent le choix. A la suite de cette phase, le programme était capable de sélectionner automatiquement le bon fournisseur ou, pour ceux qui ont une confiance limitée dans les machines, de faire des recommandations à l’acheteur prenant la décision finale.

Non seulement le taux d’erreur était significativement bas, mais le programme était également capable d’autres subtilités. Par exemple, identifier des tendances et les raisons qui font qu’un fournisseur est sélectionné de plus en plus fréquemment, tandis qu’un autre l’est de moins en moins. L’intelligence artificielle est ici capable de créer ses propres règles et de prendre des initiatives (ou de les proposer), afin de renégocier les termes d’un contrat avec un fournisseur ou d’en exclure un autre du panel de l’acheteur.

L’intelligence artificielle pourrait encore être appliquée dans l’industrie manufacturière pour l’allocation des ressources et la planification de la production. Un algorithme serait capable d’apprendre les différents facteurs impactant l’efficacité de ces processus, ainsi que les préférences en termes d’allocation des ressources et les appliquer à de nouvelles situations.

Par rapport au planning traditionnel géré par l’homme, l’intelligence artificielle serait capable de prendre en compte plus de facteurs et de variables, tout en apprenant, à la différence des moteurs de planification automatique basés sur des algorithmes fixes.

Dans tous ces cas d’application métier, il est important de noter qu’il y a un prérequis indispensable au bon fonctionnement de l’intelligence artificielle : la disponibilité et la qualité des données. D’autant plus s’il s’agit de très grands volumes de données. Dans l’exemple du choix du bon fournisseur, si certaines données manquent ou sont incorrectes (les prix ou les délais, par exemple), la prise de décision par le programme sera faussée et aura potentiellement des conséquences négatives sur l’entreprise.

 

Faut-il adopter l’intelligence artificielle dans les processus métier ?

L’idée d’utiliser l’intelligence artificielle pour automatiser la prise de décisions métier est-elle valable ou doit-elle, au contraire, être abandonnée ?

Au-delà des éventuelles craintes liées à une perte (voire une inversion) du contrôle de l’homme sur la machine, le développement de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans notre quotidien professionnel est probablement déjà en cours. Ou, au moins, imminent.

Nous le savons, les usages professionnels se transforment désormais sous l’influence des usages personnels. L’acronyme BYOD a consacré ce phénomène aussi récent que puissant. Il en va de même pour les innovations liées à l’intelligence artificielle. Si l’on prend un peu de hauteur, on se rend compte que cette transformation est déjà à l’œuvre, et que nous sommes aujourd’hui dans une phase de préparation qui précède une phase de déploiement de l’IA au sein de la sphère professionnelle.

Nous sommes en train de nous habituer à utiliser l’intelligence artificielle, parfois sans nous en rendre compte. C’est par exemple le cas lorsque nous utilisons et perfectionnons l’assistant personnel Siri sur notre iPhone. C’est encore le cas dans le domaine automobile, où nous acceptons que des ordinateurs de bord puissent prendre des décisions se substituant à celles, parfois imparfaites, du conducteur.

Cette forme d’intelligence artificielle embarquée dans une machine utilisée par tous, quotidiennement, préfigure clairement une utilisation généralisée et de plus en plus poussée de l’IA dans nos activités professionnelles. Plus encore : elle nous y prépare. Exactement comme les smartphones et les tablettes ont permis à la mobilité des applications métier de devenir une réalité.

C’est une fois que l’usage est acquis dans le domaine personnel qu’il peut devenir une réalité dans le domaine professionnel. La question n’est donc pas tant de savoir si l’utilisation de l’IA dans les applications métier est une bonne idée ou pas. Mais plutôt de savoir jusqu’à quel point nous aurons besoin d’apprivoiser et d’accepter l’IA dans nos usages privés avant d’être prêts à l’utiliser dans notre sphère professionnelle.

Nous pouvons sans risque faire un parallèle direct avec le développement de la mobilité des applications métier, et anticiper que l’intelligence artificielle sera une réalité dans le quotidien professionnel d’ici quelques années à peine. Et, une fois encore, ce sont probablement les smartphones qui permettront en très grande partie cette transition.

 

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